En finir avec la douleur

Santé Publique

La prise en charge de la douleur est pratiquement devenue une spécialité. Près de quatre-vingts structures d’accueil de la douleur sont aujourd’hui créées en France. S’y pressent des adultes, des enfants, des patients âgés, envoyés par leur médecin traitant, comme pour un dernier recours. Des personnes qui souffrent de migraines chroniques, de rhumatismes, de cancers, et pour lesquelles neurologues, chirurgiens ou rhumatologues n’ont rien pu faire.

Le temps. « C’est le principe même des consultations “douleurs”, insiste Véronique Blanchet, médecin, membre du réseau VilleHôpital, Lutte contre la douleur. Nous consacrons une heure à chaque patient. » Un minimum, pour analyser et évaluer les causes de la douleur, son intensité, et ainsi adapter au mieux le traitement thérapeutique. Fini, désormais, les préjugés sur les origines psychosomatiques de certaines douleurs inexplicables ! « Si un malade vous dit qu’il a mal, c’est qu’il a mal ». Quelle qu’en soit la cause, il faut la traiter.

L’évaluation, une étape fondamentale

Dans les consultations « douleurs », la présence de plusieurs médecins spécialistes, dont au moins un neurologue et un psychiatre, simultanément, est obligatoire. Cette étape d’évaluation reste le point clé de la prise en charge de la douleur À l’heure actuelle, par exemple, 90 % des douleurs associées au cancer pourraient être soulagées si elles étaient correctement évaluées, s’accordent à dire les spécialistes. Le patient doit pouvoir décrire sa souffrance. Plusieurs méthodes sont à sa disposition. Des échelles en forme de réglettes, des dessins, des mots... La plupart des techniques font donc appel à une certaine capacité d’ abstraction. Les autres se fondent sur des observations comportementales. Comme la mesure d’une température, ou d’une fréquence cardiaque, celle de la douleur permet aux médecins, non seulement de se communiquer le dossier de leur patient, mais aussi d’adapter leur ordonnance. Car, pour vaincre La douleur, l’écoute, la compréhension et les mots ne suffisent pas. Dans la plupart des cas, la chimiothérapie s’impose. Et, en général, l’arsenal thérapeutique adéquat capable d’en venir à bout existe déjà. Principale arme contre les douleurs chroniques : la morphine. « Le meilleur analgésique », selon JeanMarie Besson (directeur de l’unité Inserm de physiopharmacologie du système nerveux et ancien président de la société internationale de lutte contre la douleur : IASP). Mais sa réputation a limité sa prescription.

Dépendance, toxicomanie, somnolence... Ses effets secondaires et les idées reçues ont longtemps été associés aux opioïdes. Ils ont vécu. « Nous avons pu constater que les patients qui reçoivent de la morphine par auto-injection, en actionnant eux-mêmes la pompe, en consomment moins que lorsqu’elle est donnée à la demande », affirme JeanMarie Besson. Un point de vue partagé par Ivan Krakowski, secrétaire de la Société francophone de la douleur. « Les chiffres sont parlants, explique-t-il. Une étude a montré que, sur dix mille personnes traitées à la morphine, moins de cinq étaient devenues dépendantes. Et encore, parmi elles, certaines présentaient des antécédents de toxicomanie. » Des résultats cliniques qui ont sans doute contribué à une prescription plus courante du médicament, même si elle est encore loin d’être systématique. En effet, la consommation de morphine par habitant en France est maintenant supérieure à celle de la Grande-Bretagne.

« Mais nous sommes encore bien en dessous du Danemark ou de la Suède », continue Jean-Marie Besson.

Améliorer les molécules existantes

La prescription de morphine est encore sujette à de nombreuses contraintes. Les durées de traitement varient de sept à vingt-huit jours, ce qui complique la tâche des médecins. Les pharmaciens, terrorisés par les contrôles, hésitent à la délivrer. « La pharmacologie de la douleur est si compliquée qu’il vaut mieux jouer sur des associations de molécules. Pour atteindre le maximum de cibles possibles », affirme Jean-Marie Besson.

La recherche se focalise surtout sur l’amélioration de molécules existantes. Elle tente de les rendre plus puissantes, de trouver des formulations plus pratiques, de réduire au minimum leurs effets secondaires et de trouver les alliances les plus efficaces de principes actifs. Néanmoins, en matière de découvertes, la recherche réserve aussi son lot de bonnes surprises. Témoins, le Celebrex (Searle-Pfizer) et Le Vioxx (MSD-Chibret), deux nouveaux antiinflammatoires. Comme tous les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), ils bloquent l’action de la cyclooxygénase (Cox) et donc le démarrage du processus inflammatoire douloureux caractéristique de la polyarthrite rhumatoïde, par exemple. Avec eux, ni risque d’ulcère ni effets secondaires. « Nous nous attendions à tout sauf à cela, continue l’ancien président de L’IASP. Nous ne pensions pas qu’un progrès puisse venir des inhibiteurs de Cox. Le concept était dépassé, il remonte à l’aspirine et a plus d’un siècle. » C’était sans compter sur la puissance de la biologie moléculaire.

Grâce à elle, les chercheurs ont récemment pu distinguer deux sous-types de cyclooxygénase. Cox1, qui stimule les sécrétions gastriques et protège l’ estomac des ulcères, et Cox2, responsable de la réponse inflammatoire. Il s’agissait donc de concevoir des molécules capables de bloquer uniquement Cox2, sans intervenir sur l’activité de Cox1. C’est le cas du Celebrex et du Vioxx.

Depuis leur mise sur le marché aux États-Unis, au début de 1999, « ils font un malheur ! », assure JeanMarie Besson. Le Celebrex apparaîtrait sur plus de 55 000 ordonnances chaque jour et aurait déjà été prescrit, outre-Atlantique, à quelque 17 millions d’ exemplaires. Soit un chiffre d’affaires de 1,5 milliard de dollars en un an. Un record, dans l’histoire des médicaments !

Inspirées par cette découverte, certaines équipes américaines se mettent alors à rêver. Elles imaginent que, parmi les trois principales cibles de la morphine, par exemple, certaines provoqueraient l’analgésie, d’ autres la dépendance ou d’autres des effets secondaires. L’idéal étant d’avoir une molécule proche de la morphine, capable de stimuler le récepteur de l’analgésie sans activer les autres. C’est toute la difficulté. « Nous pouvons fabriquer des molécules de synthèse dix mille fois plus puissantes que la morphine, explique Jean-Marie Besson. Mais, s’il faut un anesthésiste à côté du patient pour le surveiller, nous n’avons rien gagné. » « Nous ne pouvons pas soigner toutes les douleurs, et nous ne le pourrons jamais », tempère Ivan Krakowski.

Les douleurs dites neurogènes, dues à une destruction de certaines fibres nerveuses, échappent encore aux médecins ; les armes pharmacologiques capables d’en venir à bout sont très faibles. Seules certaines techniques de neurostimulation, de neurochirurgie, ou bien des antiépileptiques et des antidépresseurs peuvent les atténuer.

Les progrès viendront de l’imagerie médicale

Certains mécanismes mis en jeu, comme ceux qui impliquent le cerveau ou le plexus nerveux au niveau de la moelle épinière, sont trop nombreux, trop compliqués et, parfois, encore trop mal connus. Mais de nombreuses équipes internationales travaillent sur le sujet pour tenter de percer le mystère des douleurs neuropathiques, démonter leur mécanisme intime et comprendre la genèse des influx nerveux périphériques, trouver de nouveaux récepteurs. Des chercheurs développent des modèles animaux censés reproduire ces pathologies et espèrent de cette façon caractériser tel ou tel syndrome. D’autres tentent de mieux comprendre les mécanismes biochimiques impliqués dans les sensations de bien-être ou de douleur, Ils espèrent ensuite pouvoir prolonger la durée de vie des enképhalines, des morphines endogènes synthétisées naturellement dans le cerveau. Comment ? En bloquant les enzymes qui dégradent les enképhalines.

Mais ce sera sans doute de l’imagerie médicale - l’imagerie par résonance magnétique (IRM) et la tomographie par émission de positrons (Pet-scan) - que viendront les progrès les plus spectaculaires et l’accès à de nouvelles connaissances sur l’activité cérébrale. Premier avantage : elles peuvent être réalisées directement sur le patient. Ensuite, elles permettent d’offrir une cartographie des nombreuses régions du cerveau impliquées dans La douleur. Les expériences sont plutôt encourageantes. « Les différentes équipes qui travaillent sur ce sujet obtiennent des résultats assez cohérents. Les zones cérébrales qui s’allument quand le sujet ressent une impression douloureuse sont homogènes d’une équipe à l’autre », explique Jean-Marie Besson.

Elles ont permis de photographier et de localiser les structures impliquées dans les phénomènes d’anticipation de la douleur (Science, 18 juin 1999). Situées dans le cortex insulaire, le Lobe frontal médial et le cerebellum, elles sont très proches mais différentes de celles liées à la douleur elle-même. « Certaines personnes sont capables de dominer leur douleur », continue le chercheur. En libérant telle ou telle substance synthétisée spontanément par le cerveau et naturellement analgésique, ces outils permettront, entre autres, de mieux connaître les phénomènes chimiques impliqués dans le contrôle de la douleur, de localiser les sites d’action des analgésiques, de les visualiser avant de les comprendre.

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