Biologie moléculaire - Synthèse protéique au cryomicroscope électronique

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Protéine vient du grec protas, qui signifie « de première importance ». Vitales pour les cellules, elles jouent un rôle dans leur communication avec l’extérieur, leurs activités enzymatiques et le maintien de leur forme définie par le cytosquelette, structure à la fois stable et dynamique, mais aussi dans la régulation de l’activité intracellulaire.

Leur synthèse est modulée par les besoins de la cellule. Ceux en histones, par exemple, varient énormément au cours du cycle cellulaire. Les cellules ont besoin d’histones pendant la phase de réplication de leur génome mais beaucoup moins durant leur division. La régulation de la production des protéines est associée à deux grands mécanismes fondamentaux : la transcription des gènes en ARN messagers et la traduction des ARN messagers en protéines par les ribosomes. Le mécanisme de synthèse des protéines repose plus particulièrement sur trois points :

  • des protéines (facteurs d’initiation, d’élongation et de terminaison) régulent l’activité des ribosomes, lesquels, comme une machinerie, traversent des phases d’initiation, de production (élongation du peptide), de terminaison et de recyclage ;
  • l’ARN messager, qui code donc une protéine, peut adopter momentanément une forme repliée, ce qui peut ralentir son cheminement dans le site de lecture du ribosome, régulant ainsi l’initiation ou l’élongation de la synthèse protéique ;
  • une pause peut être induite par la SRP (Signal Recognition Particle) afin de permettre le transfert de la machinerie ribosomale vers le lieu de synthèse souhaité.

Comprendre la fonction de tout système biologique nécessite de connaître sa structure tridimensionnelle, plus particulièrement celle des intermédiaires dans une chaîne réactionnelle. Pour élucider les mécanismes de synthèse des protéines et leur régulation, de nombreuses études ont été entreprises afin de connaître la structure 3D des complexes fonctionnels du ribosome . Ses interactions avec ses différents ligands (facteurs de régulation, ARN messagers, ARN de transferts, antibiotiques, Sec6l ou SRP) peuvent ainsi être visualisées avec précision, ce qui permet de mieux appréhender les bases de la reconnaissance moléculaire entre ces partenaires. Mieux connaître les étapes intermédiaires de la synthèse protéique peut également servir au développement d’antibiotiques capables de les bloquer. Quand ils sont judicieusement choisis pour cibler préférentiellement les ribosomes bactériens, les antibiotiques sont des alliés particulièrement efficaces.

Éfficacité et précision

L’analyse de la structure des états intermédiaires du ribosome se fait essentiellement grâce à deux méthodes complémentaires, adaptées à l’étude de grands complexes, tels que le ribosome bactérien, de poids moléculaire 2,3 MDa : la cristallographie, qui permet de visualiser des détails à haute résolution mais nécessite l’obtention de cristaux, et la microscopie électronique de particules isolées, plus limitée en résolution mais qui permet l’étude de complexes non cristallisés. Pour toute étude structurale, il faut préparer de grandes quantités (de l’ ordre du mg) de l’échantillon avec un haut degré de pureté, sachant que les complexes qui nous intéressent sont souvent des mélanges hétérogènes dus à l’équilibre dynamique association / dissociation entre ribosome et ligand. Même dans les conditions qui favorisent la formation du complexe, il est impossible d’éviter la dissociation partielle de ses composants.

La cryomicroscopie électronique permet d’observer des complexes préservés dans leur état natif et de visualiser ainsi directement les particules isolées sous forme hydratée - congelée. Dans la pratique, les particules en suspension dans leur milieu aqueux sont dispersées uniformément à la surface de la grille de microscopie et congelées rapidement dans de l’éthane liquide afin d’éviter la formation de cristaux de glace qui endommageraient les structures étudiées. La congélation de l’ échantillon préserve son état hydraté et permet de travailler sous vide dans le microscope électronique, tout en réduisant les effets d’irradiation par le faisceau électronique. L’échantillon peut alors être observé dans le haut vide du microscope électronique à la température de l’azote liquide (-196°C) sans avoir jamais été exposé à des colorants et/ou des fixateurs.

Chaque particule observée par cryomicroscopie électronique correspond à la projection de l’objet selon une orientation particulière. La structure projetée par le faisceau électronique et agrandie par les lentilles du microscope électronique est donc une représentation fidèle de tout l’objet - intérieur et surface -, ce qui s’avère important pour le recalage de structures déterminées par cristallographie aux rayons X. Les projections peuvent être classées et regroupées selon des vues similaires à l’aide de logiciels spécialisés. Puis on détermine les angles de vue de l’objet et on reconstitue la structure 3D. Enfin, en projetant de nouveau la structure selon une série d’angles régulièrement espacés, on obtient des images qui servent de référence pour aligner les particules et rendre la reconstruction plus précise. Des reconstructions affinées peuvent ainsi être obtenues avec une résolution de l’ordre de 15 à 7 Å, résolution à laquelle on peut distinguer les domaines des protéines ou les hélices d’ADN.

La résolution dépend notamment du nombre d’images utilisées, de la qualité du microscope électronique et de l’homogénéité de l’échantillon. Un complexe macromoléculaire peut, en effet, adopter différentes conformations selon son état fonctionnel. Le traitement statistique des images enregistrées permet aujourd’hui de les séparer selon les différents états structuraux du complexe et de déterminer une structure 3D spécifique de chacun des états. Il aide ainsi à comprendre les variations structurales associées aux états dynamiques de ces complexes et permet de décrire des états moléculaires multiples qui sont en équilibre les uns avec les autres.

L’interprétation des structures 3D déterminées par cryomicroscopie électronique est facilitée par le positionnement et le recalage de la structure de sous-ensembles ou de composants individuels du complexe (tels que des facteurs régulateurs) déterminée à plus haute résolution par cristallographie. Autrement dit, les données de cristallographie disponibles aident à interpréter finement l’ image 3D de l’objet obtenue par cryomicroscopie électronique en aidant à repérer et à représenter des portions de la molécule étudiée, puis leur position globale est affinée et toutes ces informations sont combinées pour décrire la structure 3D. La structure de certains ribosomes bactériens a ainsi été déterminée par cristallographie à rayons X à une résolution de l’ordre de 3 Å. Le recalage de ces structures dans des cartes 3D de cryomicroscopie électronique autorise une interprétation avec une précision nettement plus haute - environ deux fois meilleure -, ce qui, en tenant compte d’une certaine imprécision néanmoins, permet de localiser des résidus au sein d’un grand complexe. Le positionnement peut se faire manuellement, opération facilitée par l’utilisation de logiciels graphiques, ou de manière totalement automatique. Des logiciels spécialisés ont également été développés pour positionner les structures atomiques tout en tenant compte de leur flexibilité. Il a en effet déjà été observé à plusieurs reprises que la structure d’une protéine est différente selon qu’elle est entourée d’autres molécules au sein d’un réseau cristallin ou qu’elle est comprise dans un complexe fonctionnel du ribosome.

De l’ARN messager à la protéine

L’expression des gènes peut être régulée au niveau de l’initiation de la biosynthèse des protéines par des éléments structuraux présents dans la région 5’ non traduite des ARN messagers, en amont du gène à traduire. Ces segments d’ARN messagers repliés peuvent se lier au ribosome, bloquant ainsi la traduction jusqu’à ce que l’ARN messager se déplie. Une série de prises de vues d’intermédiaires du ribosome a permis de localiser un ARN messager et de visualiser sa structure, maintenue repliée par une protéine répresseur de la traduction ou au contraire dépliée lorsque celle-ci est absente

À l’état bloqué, l’ARN messager replié empêche le codon initiateur de la traduction d’interagir avec l’ARN de transfert initiateur à l’intérieur du ribosome. Quand le système n’est plus réprimé, l’ARN messager se déplie et entre par un canal au niveau de la petite sous unité du ribosome, initiant la traduction. La comparaison des structures et des séquences des ribosomes suggère l’existence d’un site universel sur le ribosome (la « plateforme » de la sous unité 30S) spécialisée dans la liaison des éléments régulateurs en position 5’ des ARN messagers. D’autres types de repliements des ARN messagers, non encore élucidés, sont peut-être utilisés pendant la pré-initiation de la traduction pour bloquer le ribosome de manière transitoire et réguler l’expression des gènes selon les besoins cellulaires.

L’initiation de la traduction, étape limitante du processus universel de la synthèse des protéines, passe par des phases étroitement régulées. Chez les bactéries, le site d’initiation correct de l’ARN messager et le cadre de lecture sont sélectionnés quand, avec l’aide des facteurs d’initiation IF1, IF2 et IF3, le codon initial est décodé dans le site peptidique de la sous unité ribosomale 30S. Ceci donne naissance à un complexe d’initiation avec la sous unité 30S (30SIC), intermédiaire de la formation du complexe d’initiation du ribosome entier 70S (70SIC) réalisé en joignant la sous unité 50S et en libérant les facteurs d’initiation. La localisation d’IF2 dans le 30SIC, si difficile avec les méthodes biochimiques classiques, a pu être menée à bien en utilisant la cryomicroscopie électronique et des techniques de pointe de classification des particules sur la base d’analyses statistiques tridimensionnelles. Le complexe d’initiation 30S a ainsi été directement visualisé en présence de l’ARN messager, de l’ARN de transfert fMet et des facteurs IF1 et IF2. Ceci a mis en évidence le mécanisme de stabilisation de l’ARN de transfert initiateur, porteur du premier acide aminé : le bras accepteur de l’ARN de transfert fMet portant une méthionine est maintenu par IF2 dans une position qui autorise l’assemblage des sous unités, alors que le bras anticodon de l’ARN de transfert est enfoui dans le site de décodage de la sous unité 30S. De plus, en augmentant la surface de l’interface entre les sous unités, IF2 favorise la formation de la machinerie complètement assemblée, prête pour démarrer la synthèse de la protéine au cours de la phase d’élongation.

Adressage

La plupart des protéines solubles sont synthétisées par des ribosomes cytoplasmiques libres alors que les protéines sécrétées ou membranaires sont assemblées par des ribosomes attachés à la membrane du réticulum endoplasmique. Les protéines membranaires sont marquées par un peptide signal défini par les premiers acides aminés qui la composent. Ce peptide est reconnu par le système SRP (Signal Recognition Particle) et son récepteur membranaire qui orientent le ribosome vers la membrane du réticulum endoplasmique. La translocation des protéines naissantes au travers de la membrane du réticulum endoplasmique peut se faire de manière post-traductionnelle ou co-traductionnelle. Dans ce second cas, le ribosome s’associe avec le translocon, un canal membranaire formé par le complexe protéique Sec6l qui assure l’intégration des protéines dans la membrane, leur transfert au travers de celleci ou leur exposition momentanée au cytosol, et recrute le complexe TRAP (Translocon-Associated Protein). Un complexe ribosomal de mammifère comportant le canal du réticulum endoplasmique a été isolé de la membrane de ce dernier avec un détergent non dénaturant (digitonine), puis sa structure a été visualisée à une résolution de 11 Å. Dans ce complexe, une copie de Sec6l et une copie de TRAP - la stoechiométrie a été vérifiée par spectrométrie de masse - s’associent avec un ribosome au repos. Dans la carte de cryomicroscopie électronique, une masse dense ressemblant à une bicouche et entourant le canal a été assimilé à un fragment de la membrane du réticulum endoplasmique, isolée grâce à l’effet non dénaturant du détergent digitonine. La structure atomique du complexe SecY (homologue du Sec6l chez les archaebactéries) a été positionnée dans la carte. Dans le modèle ainsi obtenu, deux boucles cytoplasmiques de Sec6l peuvent interagir avec les hélices d’ARN du ribosome et le pore central qui est aligné avec le tunnel de sortie du ribosome. Sec6l est donc bien positionnée pour capturer et assurer la translocation d’ une chaîne peptidique naissante. Un résultat important est que la comparaison des structures des complexes ribosome / canal chez les mammifères et les bactéries révèle des architectures similaires.

Cette observation rappelle à quel point les mécanismes de traduction sont similaires d’un organisme à l’autre. Ceci constitue un défi pour la communauté scientifique qui cherche à développer de nouveaux antibiotiques ciblant spécifiquement les ribosomes bactériens.

La microscopie électronique, un outil central

Les exemples cités montrent la capacité de la cryomicroscopie électronique à étudier des grands complexes cellulaires dans leurs différents états fonctionnels. Prenons un peu de recul : la microscopie électronique joue un rôle grandissant dans la biologie car elle permet de visualiser des structures à des échelles très variables (des tissus, de l’ordre du millimètre, jusqu’au niveau quasi-atomique, de l’ordre du manomètre). Elle permet notamment l’intégration multi-échelle et multirésolution entre la cristallographie et la RMN, d’une part, et la microscopie optique à fluorescence d’autre part. Elle joue donc un rôle central dans les approches de biologie structurale intégrative et les développements technologiques dans ce domaine.

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