Diabète L’état d’urgence

Santé Publique

Toutes les dix secondes dans le monde, un individu meurt des complications du diabète et deux nouveaux cas sont diagnostiqués. En vingt ans, le nombre de malades a explosé, passant de 35 millions en 1985 à plus de 250 millions aujourd’hui, hissant cette affection due à une trop forte présence de sucre dans le sang à la quatrième cause de mortalité dans les pays développés. Et les perspectives font froid dans le dos : près de 435 millions de malades en 2030, dont 80 % dans les pays en voie de développement. Une situation d’ autant plus alarmante que cette inflation va s’accompagner d’une hausse du nombre des complications graves inhérentes à la maladie : accidents cardiovasculaires, cécité, amputations, insuffisance rénale... Le diabète représente déjà la cause de cécité dans les pays développés.

Pis encore : la maladie, qu’elle soit de type 1 (DT1) ou 2 (DT2), touche une population de plus en plus jeune. Pourquoi une telle pandémie et comment l’endiguer ? La question agite la communauté des diabétologues qui ont, une nouvelle fois, tiré la sonnette d’alarme lors de la dernière Journée mondiale du diabète, le 14 novembre 2009.

Pour le diabète de type 2, qui concerne 90 % des malades, pas de mystère sur les causes. « Malbouffe », inactivité physique, opulence alimentaire, les coupables sont identifiés. « L’obésité fait le lit du diabète », résume le Pr. Michel Krempf, diabétologue à Nantes. Résultat : 90 % des obèses sont diabétiques et 80 % des diabètes de type 2 sont en surpoids ou obèses. Le motvalise « diabésité » est d’ailleurs passé dans le langage commun des praticiens. « C’est une pathologie émergente en pédiatrie », pouvait-on déjà lire il y a deux ans dans un rapport de l’Institut de veille sanitaire. Aujourd’hui, son diagnostic dès l’adolescence est courant. D’où l’urgence, pour les spécialistes, d’une prévention plus offensive pour ce groupe mais aussi d’un dépistage plus élargi dans la population générale, 500 000 personnes en France ignorant quelles sont diabétiques.

Car face à cette maladie, il est possible d’agir. « Le plus souvent, en présence d’un surpoids modéré, la simple correction des erreurs diététiques associée à la pratique d’une activité physique régulière permet un retour à la normale de la glycémie », assure le Dr Saïd Bekka, endocrinologue et diabétologue à Chartres. Il plaide pour la généralisation des programmes d’éducation thérapeutique, à l’instar des séjours de trois semaines qu’il organise au sein de son unité. « Dans deux tiers des cas, il est possible de modifier sur le long terme les habitudes alimentaires », explique-t-il. Mais il est surtout important d’agir tôt, avant que les graisses ne soient stockées. « On sait désormais que la graisse contient des substances et des hormones actives souvent toxiques pour l’organisme », poursuit le Dr Bekka. En cas de surpoids, les adipocytes, les cellules graisseuses, se retrouvent dépassées par le stockage des graisses. Elles sont alors à l’origine d’un mécanisme appelé insulino-résistance (voir le schéma « Le mécanisme de l’insulino-résistance ») : les dépôts graisseux profonds finissent par envoyer un signal chimique qui inhibe les récepteurs à l’insuline présents dans le foie et les muscles, ces tissus qui consomment du glucose. Conséquence, le sucre est moins bien assimilé et la glycémie s’élève. « Heureusement, nous avons un marqueur clinique simple de l’insulinorésistance : la mesure du périmètre abdominal » [Supérieur ou égal à 94 centimètres chez l’homme, 85 centimètres chez la femme], rappelle le Dr Bekka. Les personnes qui risquent de développer un diabète sont donc facilement identifiables, l’insulino-résistance apparaissant quelques années avant l’élévation de la glycémie.

Mais en pratique, seul un tiers des patients parviennent à l’équilibre en améliorant leur hygiène de vie. Pour les autres, le recours aux médicaments s’impose. Heureusement, la recherche a accompli des progrès significatifs récemment. « Longtemps, nous n’avons eu que deux molécules à proposer », précise Michel Krempf. Depuis quelques années, une dizaine de familles thérapeutiques ont fait leur apparition. Dernière en date, les gliptines avec l’arrivée, en octobre 2009, de la saxagliptine (Onglyza®), une molécule qui débarque sur un marché déjà occupé par la sitagliptine (Januvia®) et la vildagliptine (Galvus®).

Cette anti-hormone agit contre l’enzyme qui menace le GLP1, naturellement sécrété par le tube digestif Normalement, le GLP1 stimule la sécrétion d’insuline, faisant ainsi baisser le taux de sucre dans le sang. Mais sa durée de vie est très courte car il est détruit par une enzyme, la dipeptyl-peptidase (DPP-4). Les chimistes sont donc parvenus à mettre au point un inhibiteur de la DPP-4, ce qui rétablit la sécrétion normale (voir le schéma « Le mécanisme de l’insulino-résistance »). « C’est la première fois que nous disposons de molécules qui font à la fois baisser la glycémie et perdre du poids sans entraîner d’hypoglycémie », détaille le Dr Bekka. Des avantages qui pèseront sans doute en faveur de cette nouvelle famille quand il s’agira pour la Haute Autorité de santé de revoir les recommandations de traitement en 2010. A condition que les effets secondaires soient jugés acceptables. Des cas de pancréatites ont en effet été rapportés auprès de la Food and Drug Administration américaine à l’automne dernier.

L’autre type de diabète, dit de type 1 (DT1), est une maladie auto-immune. Là encore, les malades sont de plus en plus nombreux et de plus en plus jeunes. Au printemps dernier, une étude parue dans The Lancet annonçait que le nombre d’enfants atteints du DT1 allait augmenter de 70 % d’ici à 2020, passant de 94 000 à 160 000 cas dans le monde. Et ce, surtout dans le groupe des très jeunes enfants, l’augmentation prévue étant de 5,4 % chez les moins de 4 ans ! Les causes ? « Nous devons bien avouer que nous n’en savons rien », s’inquiète le Dr Lucienne Chatenoud, immunologue et chercheuse à l’hôpital Necker de Paris. Comme pour d’autres maladies auto-immunes telle la sclérose en plaques, on sait juste que le diabète de type 1 se répartit sur la planète selon un gradient Nord-Sud et qu’un enfant finlandais a 350 fois plus de risque qu’un enfant chinois de développer un diabète. « La tendance à la hausse est trop rapide pour relever uniquement de la génétique, souligne Lucienne Chatenoud. L’origine se trouve donc ailleurs, en liaison avec des facteurs environnementaux »

Qu’est-ce que le diabète ?
Diabète 1 Diabète 2
Dit aussi diabète maigre ou insulinodépendant 10 % des cas
  • Symptômes : appétit augmenté, amaigrissement, soif, fatigue
  • Qui est concerné : démarre le plus souvent chez les jeunes adultes et les enfants
  • Causes : maladie auto-immune responsable d’une destruction des cellules du pancréas sécrétrices d’insuline, les îlots de Langerhans, par des anticorps
  • Caractéristiques : absence totale d’insuline
  • Traitement : insuline en injections souscutanées pluriquotidiennes, pompe à insuline
Dit gras ou non insulinodépendant 90 % des cas
  • Symptômes : aucun avant le stade des complications, prise de poids lente
  • Qui est concerné : plutôt les plus de 40 ans, mais de plus en plus souvent les jeunes et les enfants
  • Causes : facteurs génétiques et environnementaux (habitudes alimentaires, tabagisme, sédentarité, obésité)
  • Caractéristiques : défaut de sécrétion d’insuline et résistance de l’organisme (insulino-résistance). Les tissus n’incorporent plus le sucre en raison d’un excédent de graisses au niveau des muscles et du tissu adipeux entourant les viscères
  • Traitement : régime et activité physique. Puis médicaments par voie orale. Si échec, le passage à l’insuline s’impose
Qu’il soit de type 1 ou 2, le diabète se définit toujours par un taux de glucose augmenté dans le sang du fait d’un dysfonctionnement du pancréas qui ne libère pas assez d’insuline dans l’organisme. Si les mécanismes qui y mènent diffèrent, les conséquences sont les mêmes : des complications cardiovasculaires, rénales et oculaires graves dues à des dépôts de sucre et de graisse au niveau des vaisseaux de l’organisme.

Mais lesquels ? Une introduction trop précoce de produits laitiers et de céréales dans l’alimentation ? La toxicité d’un virus ou d’un agent chimique ? Ou l’hypothèse hygiéniste qui voudrait qu’une enfance passée dans un milieu trop aseptisé conduise à une surstimulation du système immunitaire qui choisirait de se retourner contre les propres cellules de l’organisme ? « Aucune piste ne se détache vraiment », commente le Dr Chatenoud. La réponse viendra peut-être de la plus vaste étude jamais lancée sur ce thème en 2006 en Finlande, aux États-Unis, en Allemagne et en Suède. Baptisée Teddy (The Environmental Determinants of Diabetes in the Young), elle suit 7 000 nouveau-nés, certains étant plus à risque de développer la maladie en raison de leurs antécédents familiaux, d’autres étant issus de la population générale. Résultats prévus en... 2022 !

En attendant, être diabétique de type 1, c’est être diabétique à vie. Le seul « traitement » consiste à apporter l’insuline manquante par des injections quotidiennes. Céline vit ainsi depuis près de quarante ans : « J’ai tout connu : les seringues en verre qu’il fallait faire bouillir et qui se bouchaient ensuite à cause du calcaire », se souvient-elle. Aujourd’hui, équipée d’une pompe à insuline, un boîtier porté à la ceinture qui lui délivre une dose constante d’insuline, elle ne peut toutefois s’affranchir de trois autres injections quotidiennes souscutanées. Elle bénéficie des apports de la télémédecine, l’une des avancées dans le suivi du diabète. En parallèle, des progrès ont été faits, cette fois, dans la connaissance de la maladie, avec la découverte, en septembre dernier par une équipe internationale, d’un gène de résistance à l’insuline (IRS) présent sur le chromosome 2. Ce qui laisse entrevoir de nouvelles voies de traitement.

De même, si la perspective d’un pancréas artificiel est encore bien lointaine, les greffes d’îlots de Langerhans - les cellules bêta du pancréas productrices de l’insuline - commencent à prouver leur efficacité. A Lille, l’équipe du Pr. François Pattou, responsable de l’unité Inserm thérapie cellulaire du diabète, a ainsi réussi à guérir huit patients sur quatorze, cinq ans après la greffe. Des thérapies reposant sur l’immunothérapie se profilent également. Il s’agit dans ce cas d’administrer des anticorps anti-CD3, spécifiquement dirigés contre les lymphocytes T, les cellules qui détruisent les cellules bêta du pancréas. En 2005, et pour la première fois au monde, une équipe internationale coordonnée par le Dr Lucienne Chatenoud, a ainsi obtenu une rémission chez des diabétiques après seulement six jours de traitement.

Quatre ans après, ces résultats spectaculaires se sont maintenus. « Ce qui a permis aux malades de diminuer significativement les doses d’insuline », précise la scientifique. Depuis, les principaux laboratoires s’intéressent limitant les dépenses médicales qui déjà s’ de très près aux anti-CD3. Mais il faudra faire vite envolent. En France, 9 milliards d’euros sont pour prendre de vitesse l’épidémie. Tout en remboursés chaque année pour le diabète. Soit une facture d’environ 6 000 € par an et par malade. Pour tenter de limiter l’explosion des coûts, l’Assurance maladie est en train de tester un coaching téléphonique personnalisé pour mieux accompagner les patients dans une dizaine de départements de l’Hexagone.

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